Quand nous avons imaginé le thème de cette réunion, nous ne savions pas…
Ce choc immense, cette horreur, puis ce chagrin, ce deuil.
Chacun d’entre nous met ses mots…
Nos pensées, nos pleurs vont vers les victimes bien sûr, et vers leurs proches meurtris, anéantis…
Mais nos mots aussi, car chacun d’entre nous continue à vivre, à réfléchir ; à cet événement bien sûr, mais aussi au monde dans lequel nous vivons.
Un monde menacé en tant qu’il est notre monde. Alors ce qui frappe, c’est le télescopage avec la COP21, avec tout ce qui commence à se dire, à se faire comprendre à propos des dérèglements climatiques à venir.
On a vu naître une expression : « Climat de paix ». Mais, comme chaque fois qu’il est question de paix, on sait que rien n’est joué d’avance.
Face à une minorité de tueurs fanatisés, portant un projet totalitaire de haine absolue de ce qui n’est pas eux, il faut se défendre. Réaction de bon sens : la sécurité doit être assurée ; qu’on donne à l’État les moyens, un point c’est tout.
De même peuvent se justifier des opérations de police internationale contre des gens qui sortent des normes de la guerre (certes peu aimables, mais elles existent, et pas d’hier) pour imposer au reste du monde une idéologie, des pratiques, un État totalitaires. Le projet de Daech si situe, par son objectif, au-delà des rapports de forces, des confrontations souvent brutales, mais aussi des compromis, des négociations qui font la vie des États (même si ils font souvent la mort des peuples).
Mais, pour faire face à cela, là bas comme ici, deux logiques s’affrontent :
+d’un côté une dérive guerrière et sécuritaire, qui laisse des traces et des traumatismes profonds dans les sociétés, en compromettant le retour à un vivre ensemble (c’est une autre façon de dire : la politique…)
+ de l’autre, il y a la construction de la paix : en créer les conditions par des mesures adaptées (parfois rudes), mais parallèlement par le renforcement de la démocratie. L’état de droit n’est pas un état de faiblesse. Il doit viser ses vrais ennemis, pas remettre en cause les libertés individuelles et collectives (qui sont la raison la plus forte de le défendre).
Disons-le tout net : la façon dont les choses se passent ne nous rassure pas.
Nous n’avons pas besoin d’une société aux ordres, attentiste, prête à accepter les futurs Guantanamo qu’on nous prépare. À accepter les bavures et l’arbitraire comme étant l’état normal. On voit se rôder un fonctionnement plus fait pour la convenance du pouvoir que pour nous protéger contre des attentats toujours possibles.
Nous avons besoin d’une population unie et mobilisée autour d’objectifs clairs : combattre les terroristes qui préparent des attentats ; avec une police et des services de renseignements qui ont les moyens d’agir.
Mais il y aurait une profonde malhonnêteté à profiter de l’aubaine pour prétendre résoudre par des moyens extrêmes, hors de l’état de droit, des problèmes posés de longue date à la société : la drogue, le banditisme, la contestation plus ou moins violente. Sans parler de la honte absolue de vouloir profiter de l ‘état d’urgence pour faire taire toute contestation, même pacifique, sur les sujets qui gênent le pouvoir (Notre-Dame des Landes).
Nous écologistes, par les valeurs que nous défendons, nous devons nous mobiliser sur ce terrain : vigilance démocratique, observatoire des violations du droit (même dans le cadre de l’état d’urgence). Le faire avec la LDH et d’autres partenaires.
D’autant que ce combat, qui ne devrait pas avoir lieu d’être, risque de masquer la véritable urgence : l’urgence climatique. Certes Daech représente une barbarie atroce et doit être combattue sans merci. Elle peut faire beaucoup de morts, ici comme là bas, mais c’est une force du passé, qui n’a aucun avenir . Elle n’a pour elle que la fascination, provisoire, qu’elle exerce sur quelques dizaines (ou même centaines) de milliers de personnes dans le monde. C’est désespérant, c’est trop, mais c’est peu pour s’imposer au reste de l’humanité. Le reste c’est de la politique, qui suppose une vraie prise en compte des contradictions rélles, sur le terrain, dans chaque société, au Moyen-Orient, en Lybie, dans certaines régions de l’Afrique.
L’adversité que représente le dérèglement climatique est d’une autre trempe pour l’humanité.
D’abord par le nombre de morts dus au climat : 600 000 depuis 1995 (ONU) et 4,1 milliards de personnes blessées, sans abri ou ayant eu besoin d’une aide d’urgence.
Or les dérèglements majeurs sont devant nous vous le savez tous.
« Face à cela, soyez en sûrs mes chers compatriotes, la France ne se laissera ni impressionner, ni submerger : nous multiplierons les perquisitions dans tous les lieux humides, nous trouverons les meneurs, nous formerons des metéorologues français… »
J’arrête là, vous l’avez reconnu. Et écoutons plutôt une autre voix :
« Dans l’ordre des menaces qui pèsent sur les États modernes, le changement climatique est de loin la plus grande. Il remet en cause la manière dont nous devons vivre, penser, produire, nous déplacer, manger, habiter. Il ne nous unit pas, comme le terrorisme islamiste, contre une minorité de tueurs fanatisés. Il nous divise entre nous et en nous-mêmes.
Nous sommes ceux qui trouvent plus rapide de prendre la voiture, mais qui veulent respirer. Nous sommes les Indiens et Chinois qui veulent sortir de la pauvreté, mais qui voudraient aussi que leurs enfants puissent sortir dans la rue et jouer dans les parcs. Nous sommes ceux qui aiment manger de la viande, mais qui veulent se baigner le long des côtes bretonnes.
Les entreprises, les États, les citoyens qui sont toujours dans le déni, qui tentent de minimiser le problème ou croient que l’efficience énergétique peut seule nous en sauver, qu’il n’y a aucun effort de sobriété à faire, que les sacrifices à consentir peuvent être minimes ou être remis à demain, nous entraînent vers un monde où des centaines de millions de personnes devront quitter des régions devenues invivables.
Et quand on voit avec quelle réticence les 500 millions d’habitants de l’Union européenne ouvrent leur porte à 1 million de réfugiés, comment peut-on penser que la migration de ces centaines de millions ne fera pas tomber nos sociétés dans la violence et dans le chaos ? Il est de ce côté, l’état d’urgence extrême. Il ne va pas durer trois mois. Il est devenu permanent. »
Ce sont les mots d’un écrivain, d’un romancier, Vincent Message, à qui j’ai l’audace d’emprunter ces lignes.
On pourrait en trouver d’autres, car nous formulons tous les choses différemment, sur l’analyse des causes et des solutions. Divisés ? Oui, il y a de vraies divisions, qui reposent sur les intérêts : et attention, ces intérêts deviendront de plus en plus ridicules ou de plus en meurtriers, selon ce qu’on laissera faire
Mais,il ne s’agit plus là de divisions, notre grande richesse c’est la diversité, diversité des points de vue, des expériences, des idées : condition pour inventer les solutions.
Et d’ailleurs, ces solutions elles sont déjà là, elles pointent sous nos yeux : certains y réfléchissent, d’autres les expérimentent, d’autres (ou les mêmes) en font le bilan. Et petit à petit cela irrigue la société.
Alors, oui, il faut un coup d’accélérateur, qui traverse toute la société, qui la mobilise.Et ça commence : la Coalition climat 21 ce ne sont pas trois chevelus et deux hipsters : ce sont 350 organisations, qui vont des piliers écologistes et altermondialistes de toujours, à la LPO, en passant par le Secours catholique et la CGT.
Rappelez-vous les positions syndicales majoritaires sur l ‘écologie il y a 20 ans, et les réticences encore il y a 10 ans. Aujourd’hui le mot d’ordre de la CSI (Confédération syndicale internatione) c’est « Il n’y aura pas d’emplois sur une planète morte : zéro carbone et zéro pauvreté. »
Donc mobilisation de la société civile pour faire émerger le nouveau. Il faudra aussi trouver des points d’appuis dans les institutions en confiant les manettes aux écologistes, d’aujourd’hui et de demain, et à tous ceux qui, avec eux, comprennent réellement les enjeux. Pas à ceux qui apparemment se préparent à revivre la Bataille d’Alger. Et il y en a dans tous les camps, comme à l’époque.
Mantes-la-Jolie,1er décembre 2015
Stéphane Bernard
Le texte que nous publions ici a été publié lors d’une réunion qui s’est tenue le 1er décembre salle de l’Agora à Mantes-la-Jolie, dans le cadre des élections régionales. Elle a rassemblé 35 personnes. On a entendu les 7 candidats (dont 3 sortants) développer divers points autour du thème de la réunion et de l’action des écologistes au Conseil régional d’Île-de-France. La parole a ensuite été donnée à la salle, et Mounir Satouri, tête de liste dans les Yvelines, a conclu cette soirée.